Le livre du jour : Galaxies No 75, Uchronies

Verdict : bien

J’ai participé il y a un an environ à un concours de nouvelles pour le magazine Galaxies, dont le thème était l’uchronie. J’ai (bien malheureusement) perdu et mon texte n’a pas été sélectionné, mais à titre de lot de consolation le magazine m’a adressé récemment leurs numéros 75 et 75 bis dans lesquels sont parues les uchronies gagnantes. Assez classe de leur part non ?

Il m’a quand même fallu quelques semaines pour me décider à lire le 75, aigri et amer à la fois que je suis d’avoir perdu, je craignais de ne pas être capable de bien apprécier des textes choisis comme étant meilleurs que le mien. Mais bon, il faut savoir être bon perdant et j’ai désormais lu ces textes, et je vais me permettre un avis, en essayant de ne pas trop baser cet avis sur mon aigreur et mon amertume.

Le magazine contient un peu plus que les quatorze textes gagnants, il y a aussi deux trois interview, critiques … Mais si on commence à critiquer des critiques, où va-t-on ? Aussi me contenterais-je de critiquer les quatorze textes et pas l’ensemble du magazine.

Notons au passage qu’il y a un commentaire sur le concours lui-même, j’apprends donc qu’ils ont reçu 154 textes, et en ont sélectionné quatorze pour leur numéro 75, quinze de plus pour le 75 bis et même encore quinze pour un 75 ter. Ce qui fait donc que mon propre texte n’est pas dans les 49 premiers sur 154, ça fait mal. Au mieux je suis donc à la limite du premier tiers … et c’est la version très optimiste. D’un autre côté, lire les 29 textes que j’ai à ma disposition me permet déjà de voir si je suis d’accord avec leur choix, et essayer de comprendre ce qui a pu manquer au mien pour être pris.

J’avais essayé pour ma part d’inclure l’aspect uchronie sans faire du texte un simple déroulement de dates et de faits, comme peuvent l’être certains romans historiques qui sont bien plus historiques que romans. Si c’est juste pour faire des périphrases pour dire machin a fait telle chose à telle date, je ne vois pas l’intérêt littéraire. J’ai critiqué en Octobre un recueil d’uchronies qui faisait justement ça, on ne peut pas dire que j’avais apprécié.

J’avais aussi gardé cet aspect uchronique assez flou pour ne pas dire de bêtises, je ne suis pas historien même si je m’intéresse au sujet et j’ai donc toujours peur dans ce genre de cas de dire des choses fausses. Visiblement je ne devrais pas …

C’est surtout sur ces deux axes que je vais juger les textes, jugement tout à fait personnel donc puisque d’autres amateurs d’uchronie et en particulier le jury de ce concours, peuvent avoir des critères tout à fait différent. Il est tout à fait compréhensible par exemple, qu’un magazine qui essaye de vendre préfère sélectionner un texte d’un auteur connu, qui a déjà un public, que d’un inconnu. Ce qui ne justifie en rien mon échec, bien sûr, avec 49 textes choisis, il y a de la place pour tout le monde, mais justifie peut être l’inclusion de certains textes que je trouve personnellement pas terribles. Et il y a des tas d’autres critères envisageables !

Pour ma part ce sera donc surtout le fond : est-ce une uchronie crédible, et la forme : en gros la façon dont je critique le reste des œuvres que je lis ou regarde.

Pour commencer …

Mort et apothéose de Joseph Vissarionovitch Djougachvili, dit Staline par Jean-Pierre Andrevon

Une uchronie dans laquelle, à la mort de Lénine, c’est Trotsky qui récupère le pouvoir et non Staline. Le texte suit un Staline vieillissant, réfugié dans le Vermont qui écrit plus ou moins ses mémoires, prétexte donc à revenir en arrière sur 50 ans d’histoire et dérouler les dates et les évènements. Et donc, même si c’est joliment décoré et mis en prose, on tombe direct dans ce que je ne voulais pas faire : une succession d’évènements historique avec un texte par dessus qui est une simple décoration. Une petite partie du texte concerne quand même la situation courante, et raconte une histoire, mais la majeure partie c’est juste un cours d’Histoire, alternative certes. Sur la forme je ne peux pas dire que ce soit génial donc, même si on a connu bien pire.

Sur le fond … je suis très dubitatif. L’Allemagne qui envahit la Pologne seule et personne ne réagit ? Les USA qui ont la bombe atomique en 1944 alors que la France n’a pas été envahie et qu’ils n’ont donc pas pu récupérer (voler serait plus juste) les recherches françaises et anglaises dans cette réalité ? Les USA qui larguent deux bombes sur la Russie alors qu’ils peuvent laisser les européens combattre à leur place ? Je ne crois pas du tout à tout ça. D’autant qu’il s’agit, pour ce texte, d’éléments secondaires sans grande importance, donc pourquoi ? Niveau crédibilité en tout c’est aussi très moyen.

Vesta Aeterna par Émilie Beltane

Le point de divergence est ici la survie du culte des vestales en 391, quand l’empereur Théodose interdit tous les cultes non chrétiens. L’auteur part de l’idée que cette survie provoque la survie de l’empire romain. Un peu fantastique mais le flou est maintenu sur les évènements, donc pourquoi pas ? On se retrouve quand même en 2021 dans une société qui est quasi identique à la nôtre, avec pour seule différence que l’empire romain existe toujours, près de deux millénaires plus tard. D’accord pour la survie de l’empire mais pour le reste ? Où est l’uchronie ?

Il n’y en a pas. En réalité ce texte n’est qu’un emballage très superficiel d’un discours féministe visant à dénoncer les violences faites aux femmes. Et discuter de la valeur de la virginité du point de vue du féminisme. Pour les violences faites aux femmes, c’est pas comme si c’était pas LE sujet à la mode qu’on a retrouvé dans tous les programmes politiques de la dernière élection … Et pour la valeur de la virginité ? Et conclure je ne sais trop comment (parce que les arguments développés … ben j’en vois pas en fait) que les vestales qui doivent rester vierge jusqu’à 48 ans c’est féministe aussi … Et en fait je m’en fous. C’est pas intéressant, ça n’a aucun rapport, sauf très superficiellement, avec le thème et ce texte n’a rien à faire là. Je suis sans doute d’autant plus agacé que j’ai participé à ce concours, mais même en tant que simple lecteur je n’apprécierais pas de voir ce texte choisi.

La raison de la présence de ce texte est sans doute à aller chercher du côté de la politique et de la propagande, car c’est de la propagande même si elle va dans le bon sens, et c’est moche. Reconnaissons tout de même que le plume de l’autrice n’est pas affreuse, c’est déjà ça.

Nuevo Mondo par Thierry Schultz

Hernan Cortés, au lieu de l’emporter sur Moctezuma, se retrouve face au frère de ce dernier, qui vient de lui voler son trône, et les choses ne se passent pas aussi bien pour les espagnols. On a là plus une introduction à une uchronie qu’une véritable uchronie car le récit prend place très peu de temps après la divergence, et les conséquences sur le monde et l’Histoire sont laissées à l’appréciation du lecteur. Mais d’une part c’est compréhensible dans le cadre d’une simple nouvelle, et d’autre part c’est quasiment le seul reproche que je peux faire au texte. Bon, second reproche : la mise en page n’est pas très claire, le récit couvre plusieurs scènes éloignées dans le temps et l’on passe parfois de l’une à l’autre en revenant en arrière, et ce n’est pas toujours immédiatement clair, il aurait fallu sauter des lignes, afficher une brisure d’une façon ou d’une autre. Ce n’est pas grand chose.

Je ne m’y connais pas assez en matière d’histoire aztèque pour savoir si effectivement Moctezuma avait un frère rebelle et moins naïf, le fait est que Cortés a su se débrouiller, mais a bénéficié de pas mal de chance. Malgré l’avantage technologique, ça aurait pu se passer bien plus mal pour lui. Est-ce que la bataille décrite ici est totalement crédible ? Je ne sais pas, je pense que non, mais elle l’est suffisamment. Sur le fond comme sur la forme, ce texte est donc bon.

Le mariage de Robespierre par Raymond Iss

Tout comme le premier, ce texte qui évoque la survie de Robespierre à la Terreur, grâce à Napoléon, fait un peu liste d’évènements, et tout comme le précédent, les changements de scène et de point de vue, passage de la première à la troisième personne, peuvent être perturbants. Encore une fois c’est un peu le problème de faire une nouvelle et ici, de vouloir y coller autant d’information que dans un roman.

Question uchronie, la divergence parait assez crédible, la conclusion peut être moins. Si je n’ai rien à redire à la caractérisation de Robespierre, je suis moins convaincu de l’idée d’une révolution victorieuse qui accepterait de faire la paix avec l’Europe en restant dans ses anciennes frontières. Sans aller jusqu’à l’empire napoléonien, pas de gain du tout me parait exagéré, surtout en échange de rien, juste la paix, une promesse qui ne vaut pas le papier sur lequel elle est écrite avec l’Angleterre. Et je suis encore moins convaincu par la conclusion. Mais ça reste discutable, crédible, donc pourquoi pas ?

Pour Anita par Bruno Pochesci

Un bon petit texte qui réussit à nous donner une biographie, partiellement uchronique, de Garibaldi, mais sans faire livre d’histoire, qui sait être féministe, c’est même un thème fort, tout en racontant quand même une histoire, qui sait être poignant et donner envie de connaître l’homme, le héros présenté ici, Giuseppe Garibaldi.

Héros que je ne connais que peu, et j’ai eu du mal à la lecture à distinguer l’uchronie du réel. Comme sa présence à la bataille de Bull Run, uchronique comme je m’en doutais, mais je ne savais pas qu’il avait été réellement sollicité par Lincoln pour conseiller le Nord. J’ignorais également qu’il avait participé à la guerre de 70, et quelle participation. C’est ici que nous entrons totalement dans l’uchronie lorsqu’il prend la tête de l’armée de la Commune, changeant ainsi l’Histoire.

Là, j’ai du mal à dire si c’est crédible, vu les chiffres annoncés le scénario proposé parait envisageable et derrière, l’Histoire ayant pris un cours très différent, qui sait si une Europe révolutionnaire n’est pas effectivement possible. L’époque s’y prêtait quand même, mais le résultat est sans doute un peu trop optimiste. L’uchronie reste de toute façon assez vague sur les circonstances, donc difficile de trop critiquer et le texte est de toute façon très bon.

Lorsque la Mécanologie dominait le monde par Eric Vial-Bonacci

Bien plus qu’une uchronie, cette histoire relève du steampunk, et même du fantastique ou de la science-fiction. L’histoire se situe en 1840 en Angleterre, vingt ans après la guerre radicale, une véritable guerre qui a mené ici à l’emploi d’armes chimiques et de bombardements massifs, alors que dans la réalité il ne s’agissait que d’une semaine de grève et d’agitation. Pour que de telles armes soient utilisées, il est nécessaire que le point de divergence d’avec notre réalité soit bien antérieur à cette date, même si officiellement l’introduction au texte nous propose le résultat de cette guerre comme la source de la divergence.

L’utilisation d’une science qui semble relever de la magie interdit de toute façon de considérer qu’il s’agit purement d’une uchronie. Ce qui n’est pas dérangeant, j’apprécie le genre historique fantastique, uchronique ou non, mais pour le coup il devient impossible de juger de la crédibilité de l’aspect uchronique. Si Londres peut noyer Édimbourg de gaz potentiellement mortel et qui provoque des mutations chez les survivants, comment juger de ce qui est réaliste ?

J’apprécie certains éléments de cet univers alternatif, d’autres moins. C’est une nouvelle, un peu court pour juger. Je ne peux pas dire que j’ai vraiment accroché et ressenti l’envie d’en lire plus, mais ce n’était pas mauvais et a plus grosse critique reste que l’aspect uchronique est présent, mais mineur.

Retour sur place espoir par Pauline J. Bhutia

Texte légèrement futuriste, le récit se passe en 2024, et cyberpunk, il est aussi mystique en proposant une religion qui semble mélanger internet, faon matrice, et réincarnation. Si l’on décide de croire à l’aspect mystique, c’est bien évidemment du fantastique, et irréaliste, si l’on décide qu’il s’agit plutôt d’hallucinations, ça reste assez réaliste, mais un peu trop futuriste peut être.

J’apprécie que dans cette uchronie, où la Chine s’est démocratisée suite aux manifestations de la place Tiananmen, il y ait du positif et du négatif pour cette Chine, morcelée en territoires plus libres, mais aussi affaiblis. L’atelier du monde n’y est donc pas la Chine, mais l’Inde et le Made in India est partout. Logique, je pense. Et un Tibet redevenu indépendant est cette fois menacé par une Inde impérialiste. Ironique, mais logique encore une fois.

Ce qui est moins réaliste c’est cet aspect très cyberpunk avec des datajacks sur les tempes permettant de connecter directement son cerveau sur internet. J’y crois, mais pas en 2024, rien dans l’uchronie ne justifie un tel développement technologique. Par contre à la grande époque du cyberpunk, on y croyait pour 2020, on s’inscrit donc dans une grande tradition.

Ceci mis à part, c’est aussi une bonne histoire.

Ichbiliya, 1206 A.H par Lati Babeni

Pas de Reconquista dans cette uchronie, du moins par aussi vite que dans la réalité, et la prise de Cordoue par les chrétiens a lieu plus tard. Ce qui permet au protagoniste de penser à la ville, à sa chute, à la guerre … Ce qu’aurait pu tout autant faire un autre protagoniste dans un roman historique situé 50 ou 100 ans plus tôt. L’aspect uchronique étant ici très limité.

Ça parle de tolérance, de cohabitation entre différents peuples, différentes religions. Et Cordoue est, historiquement, un bon exemple de ça, ou en tout cas un exemple souvent cité. Quelle était la réalité historique derrière cette tolérance proclamée ? Difficile à dire, mais il semblerait que l’Islam n’a sombré dans l’obscurantisme qu’après la chute de ses royaumes du nord ouest : Sicile, Espagne … et qu’il nous reste aujourd’hui les traces d’une culture qui chérissait les arts et la science plus que la guerre.

C’est intéressant, mais quel rapport avec le thème uchronique ? Le fait qu’ici l’Islam semble respecter l’homosexualité ? Je dis semble car on est dans un style où tout est suggéré, mais rien n’est dit. Dans une moindre mesure, et donc de façon nettement moins agaçante car nettement moins lourde, on est dans la même situation que pour le deuxième texte. On pardonne plus facilement quand l’écriture est belle, et que le point n’est pas forcé à grands coups de marteau, mais j’ai quand même beaucoup de mal à voir ce texte comme une uchronie.

Qui plus est, le style d’écriture, tout en ressenti et sans la moindre action n’est pas du tout ma tasse de thé. Ça plaît sans doute à certains, tant mieux pour eux, et la plume est agréable à lire, mais quand il faut quinze périphrase pour faire comprendre qu’il s’est passé un petit truc, j’ai eu le temps de m’endormir trois fois. Je tends à éviter ce genre de style si je peux.

La Scientifiction, un miracle français par Alain Rozenbaum

Je ne peux m’empêcher de voir beaucoup d’humour dans cette uchronie où l’auteur apparaît lui même sous un autre nom, américanisé, Alan Rosebud. Après tout si il transcrit quasiment telle quelle l’histoire de la science-fiction pour la faire naître et vivre en France plutôt qu’aux USA, il est logique que par effet miroir, il s’américanise, lui qui est auteur français. Et pour le coup je me demande si Rosebud est une référence à Citizen Kane, ou à une pratique sexuelle.

Humour à part, l’aspect uchronique est à la fois irréaliste, la seule présence d’Hugo Gernsback, luxembourgeois émigré aux USA et inventeur de terme de science-fiction, ne pouvant en rien influer sur l’apparition du genre à un endroit ou un autre, et peu recherché, l’auteur se contentant de franciser toute l’histoire sans rien modifier des origines, en faisant ensuite de la SF française la justification pour que tout aille pour le mieux : pas de guerre d’Algérie, autant de librairies en France que de boulangeries, Thomas Pesquet premier homme à poser le pied sur Mars …

Si seulement c’était vrai ! Appréciant la science-fiction, je ne peux que souhaiter que les choses soient aussi simples, mais c’est, hélas, très peu crédible.

Si c’est effectivement un texte à vocation humoristique, et je le ressens comme ça, ça prête à sourire cinq minutes et c’est sympathique. Sinon … mieux vaut ne pas envisager de sinon. Et sous couvert de parodie, il y a pas mal à apprendre dans ce texte en fait, sur les origines les plus anciennes de la science-fiction qui elles sont effectivement partiellement françaises, depuis certains textes de la Renaissance jusqu’au début du XXe siècle et le merveilleux scientifique, héritier de Jules Verne.

L’exploration de l’aspect uchronique, si simpliste soit-il, est donc un bon prétexte à pouvoir regretter ce qui aurait pu être mais n’a pas été. Tout irait mieux si la SF état française, si, juré !

L’odyssée par Laura P. Sikorski

Une nouvelle qui parle de jeux vidéos. Dont l’industrie ne se serait pas remise du crash de 1983, et ressusciterait seulement en 2020, grâce à une poignée de fanatiques, des femmes pour la plupart qui auraient trouvé dans ce plaisir de niche le moyen d’exprimer leur féminité. Pourquoi pas pour ce second point, le jeu vidéo se prête à beaucoup de choses. Ça me parait plus un truc de l’auteur pour rattacher du féminisme à l’histoire, m’enfin si elle a envie d’en parler, grand bien lui fasse, ce n’est pas gênant à la lecture.

Pour la première idée par contre … non, c’est totalement irréaliste. Quand on connaît Tennis for two, les MUDs, les premiers rogue et roguelikes, on sait qu’il est impossible que les joueurs de l’époque aient abandonné l’idée de jouer sur ordinateurs. Que l’industrie ait connu un gros repli, voir un effondrement, et que les investisseurs aient mis des années à oser y remettre de l’argent, pourquoi pas, mais les jeux vidéos ne seraient jamais devenus le loisir de niche décris dans cette nouvelle, et les années 90 auraient forcément vu l’industrie renaître. L’autrice étant née en 1994, ça explique sans doute qu’elle puisse envisager un tel scénario.

Là où elle touche bien plus dans le mille, c’est sur la disparition des petites boutiques de jouet, achevées dans son histoire par l’effondrement des ventes de jeux vidéos. Une disparition qui va avec beaucoup d’autres et est plus liée à l’existence de super et hypermarchés qu’à autre chose, et de façon ultime à l’orientation de la société vers le tout voiture, mais c’est un autre débat. C’est, par contre, un sujet qui me touche.

Sur une base très irréaliste, le récit est cependant bien construit, et même si l’idée d’un jeu qui s’appellerait « Plaizir ou L’Odyssée d’un Clito » n’est pas franchement pour moi, je peux apprécier sans peine le reste de l’histoire.

Croque par Eva D. Serves

L’utopie permet facilement un discours politique et la déconstruction de certains préjugés, de certaines idées. Une démarche très intéressante au passage, pour peu que la conclusion de cette déconstruction ne soit pas imposée à l’avance par d’autres. L’uchronie permet de proposer des utopies par exemple, ou de mettre un groupe privilégié à la place d’un groupe subissant des préjugés en échangeant leurs positions dans la société.

C’est le premier qui est fait ici, avec un petit manque de subtilité qui fait que plusieurs fois dans la nouvelle, on a une remarque qui renvoie à la réalité en la moquant, en la traitant comme une dystopie : « Imaginez l’horreur si … « . C’est un peu lourd.

Dans cette uchronie utopique, le droit à la différence est reconnu. Et avec lui le droit au revenu universel, minimum accordé à tous parce que finalement être humain est quelque chose de bien plus important que toutes nos différences. Et que le « mérite » défendu par la société capitaliste, est quelque chose qu’on ne peut pas mesurer sans être à la place de l’autre.

Je ne sais pas si il est réaliste d’imaginer une société utopique, mais c’est pour ma part un avenir que je souhaite et que j’attends, avec peu d’espoirs quand même, je crois que ça passera pas beaucoup, beaucoup d’éducation et qu’on en prend pas vraiment la voie. Passons.

Si j’aime l’idée sur le fond, la forme est encore une fois un texte entièrement dans le ressenti, sans action, du pur « regardage » de nombril de la part du narrateur et ce n’est pas intéressant.

« Ralliez-vous à mon panache noir » par Marie Ardhuin

Le point de départ est ici très réaliste : un bête accident qui n’a pas lieu, et le roi Henri II survit et prospère. La suite est-elle aussi crédible ? Pas tout sûrement. Je ne sais pas si, son mari ayant survécu, la célèbre Catherine de Médicis serait restée en retrait comme le prétend cette nouvelle. Mais c’est crédible. Je ne sais pas si Henri II aurait pu remporter tous les succès militaires qui lui sont ici attribués, mais c’est sans doute possible même si peu probable. L’ensemble de l’uchronie est donc nettement crédible.

L’histoire se déroule en courtes scènes, nouvelle oblige, et on est forcé de se concentrer sur l’essentiel, mais ça reste un minimum romancé et la présentation est plutôt bonne pour une nouvelle uchronique de cette ambition. On reste sur des scènes plus que de simples descriptions de faits historiques, mais des scènes très courtes, denses. On dit plus qu’on ne montre.

Il y a de plus un certain nombre de petit clin d’œils à l’Histoire que j’apprécie beaucoup : le traité de la Saint Barthélémy, Marguerite première reine de France, le titre même … Dans l’ensemble et compte tenu des limites de l’exercice, c’est un texte excellent.

L’ombre de Gambetta par Jean-Claude Renault

L’auteur de cette nouvelle a écrit quelques romans publiés chez Nestiveqnen qui sont dans ma « pile à acheter » et c’était donc une bonne occasion de le découvrir et de confirmer mon envie de le lire en format plus long. Qui plus est, une nouvelle uchronique qui commence par l’assassinat de Bismark, ça part plutôt bien !

Et la suite confirme mes premières impressions, cette histoire d’espionnage dans les années 1870 me parait réaliste, et est fort bien réalisée. On peut regretter l’hypocrisie du protagoniste qui va assassiner un « innocent » et épargner un « coupable » pour s’éviter les conséquences d’une vengeance qu’il exerce au nom de la justice, mais à quel point est-ce un défaut ? Une version plus longue de la nouvelle lui donnerait peut être des motivations plus personnelles qui expliqueraient cette apparente incohérence, mais je cherche de toute façon la petite bête là.

C’est dans tous les cas et comme la précédente, à la fois une bonne uchronie et un bon texte.

Loubianka for ever par Pierre Gévart

Une uchronie qui parle d’uchronie. C’est presque classique, surtout quand en parlant d’uchronie, cette uchronie décrit le monde tel qu’on le connaît, et en dénonce l’absurdité. Ça peut faire sourire, mais on ne peut pas dire non plus que soit original.

Ceci dit, le reste est plutôt pas mal. L’idée de départ de l’URSS remportant la course à l’espace et débarquant la première sur la lune est crédible, bien qu’encre une fois pas du tout originale, les conséquences le sont nettement moins. La victoire dans cette course a appuyé la propagande de l’ouest et aidé sans aucun doute à la victoire idéologique, mais je crois que même la situation inverse n’aurait jamais pu sauver l’URSS, la propagande capitaliste étant bien meilleure que tout ce que la Russie peut espérer produire. La guerre actuelle le prouve encore. Une explication est sans doute que se baser sur la réalité aide beaucoup, mais même sans ça, les USA sont très très fort en manipulation de masses et pour imposer leur culture.

En oubliant le manque d’originalité, et de crédibilité, on obtient quand même un bon texte, très agréable à lire, humoristique, mais pas trop. La dernière ligne qui nous révèle qui est l’interrogateur du protagoniste se révèle plus d’actualité que jamais depuis le début de la guerre en Ukraine, mais d’une manière plus amère que prévu peut être ?

Pour conclure

Quatorze textes critiqués en détail, ça fait long. J’espère ne pas avoir trop montré ma mauvaise foi, mais globalement j’ai trouvé que les textes ayant remporté le concours étaient bons, et c’est assez rassurant, et inquiétant à la fois.

Seuls les deux premiers textes me paraissent vraiment critiquables, de façon très différente. Surtout le deuxième. Tant pis, sur quatorze c’est pas si mal, et ce numéro de la revue en tout cas vaut le coup. Vous pouvez le trouver ici, enfin plus exactement dans les anciens numéros.

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