Le livre du jour : Epopées fantastiques par Jean-Pierre Dionnet et Jean-Claude Gal

Cette grosse BD est en fait une intégrale qui regroupe les récits Les armées du conquérant (paru en 1977), et les deux tomes d’Arn (La vengeance d’Arn paru en 1981 et Le triomphe d’Arn en 1988). J’avais lu cette œuvre à sa sortie, et dans mon souvenir elle contenait également au moins une histoire supplémentaire La cathédrale du même dessinateur mais avec un autre scénariste. La version que je possède n’a pas cette histoire supplémentaire, pour une raison inconnue, mais à la place elle a de la couleur.

J’ai mis longtemps à retrouver cette BD, j’en avais en grande partie oublié le titre. Il y a « quelques années » j’avais tenté de poser la question à un de mes collègues qui en bon belge se piquait d’être expert en BDs. Avant même que je puisse lui décrire l’album en question, il s’était moqué de moi (gentiment hein), me rappelant qu’il sortait plusieurs centaines d’album par an et qu’on ne pouvait pas attendre, même d’un expert qu’il les connaisse tous.

Pourtant si un soi-disant expert ne connaissait pas Epopées fantastiques, je lui contesterais sans aucun doute son titre, en tout cas en ce qui concerne les BD médiévale-fantastiques, tant cet album est un monument reconnu.

C’est classe ou pas ?

1977 c’est loin quand même, en tout cas en matière de BDs méd-fans. A cette époque Thorgal débute à peine dans le journal de Tintin et le premier album ne paraîtra qu’en 1980, donc la référence dans le genre c’est plutôt Johan et Pirlouit (et les Schtroumpfs) ou Prince Vaillant. Ou Chevalier Ardent à la rigueur, mais le côté fantastique est très léger.

Pas trop la même chose donc. D’ailleurs je parle de médiéval-fantastique, mais en dehors de l’histoire La cathédrale, les références sont plus proches de l’antiquité que du moyen-âge. On pense plus à du Conan qu’à autre chose. On cite parfois Frazetta dans les influences du dessinateur, Jean-Claude Gal, et ça n’a rien d’étonnant. (Mais quel dessinateur sensé ne se laisserait pas influencer par Frazetta ?)

Jean-Claude Gal rend son temps pour dessiner, et le résultat est visible, chaque page est soigneusement travaillée, pleine de détails. La colorisation tardive qui fut faite de l’album n’apporte d’ailleurs pas grand chose.

Un extrait de la cathédrale …

Le scénario quand à lui reste plutôt classique. Une série d’histoires courtes ayant plus ou moins un rapport avec un empire conquérant vaguement inspiré de Rome constitue la première partie, c’est l’album Les armées du conquérant. C’est la partie la plus originale et celle que je préfère. L’histoire d’Arn, qui suit, n’innove pas vraiment. L’histoire est un eu handicapée par la narration, assez typique de l’époque, qui laisse de gros trous, ne s’attarde pas sur les personnages, préférant la légende, qui finit surtout par les rendre inhumains, on a du mal à s’attacher. Le récit est lyrique, épique, mais détaché. La conclusion est d’ailleurs que rien n’importe vraiment puisque tous, protagonistes comme antagonistes sont morts depuis bien longtemps.

Alliée au style réaliste, à la colorisation absente ou légère, on a quelque chose de froid. C’est beau, l’univers est inspirant, et il y a clairement de bonnes idées, mais cela manque d’émotions, en tout cas pour le lecteur. On a pourtant des personnages qui vivent des sentiments forts, vengeance, amour, haine … mais rien ne passe vraiment vers le lecteur, ça reste très académique, sans sympathie ni empathie.

Les auteurs travaillaient pour Métal hurlant et on peut reconnaître cette volonté de faire quelque chose de différent, mais sans trop savoir quoi, parfois, pourvu que ce soit différent. Certains éléments du scénario sont ainsi, ils sont visiblement là pour créer une ambiance, donner une impression d’étrangeté. Visuellement c’est un peu pareil avec diverses villes qui ont des caractéristiques architecturales très marquées et donnent une forte impression d’exotisme.

Un certain malaise se dégage de tout cela, sans aucun doute l’effet recherché, et il est intéressant à analyser, mais ce n’est pas pour tout le monde. Et pour parti, ce n’est pas pour moi. Cette BD m’avait fait une impression assez forte pour que 20 ans après je fasse des efforts pour la retrouver même sans me rappeler son nom, mais c’est en grande partie pour le stimulus qu’elle apporte à l’imagination pour créer autre chose, et pas uniquement pour sa valeur en tant qu’œuvre finie. J’ai d’ailleurs réutilisé certaines idées trouvées dans ce livre pour des parties de jeu de rôle, certaines ambiances également.

Bien qu’imparfaite, maladroite peut être, dérangeante, c’est une œuvre marquante, qui mérite bien son statut culte dans le domaine de la BD médiévale-fantastique, tout comme Lanfeust de Troy ou La quête de l’oiseau du temps (et Poussin Bleu !), mais pour d’autres raisons.

Pour aller plus loin …

Jean-Claude Gal, mort assez jeune, ne publiera que 5 albums de BD, au total dont trois font donc parti de cette intégrale. Le dernier La passion de Diosamante semble être dans l’esprit d’Epopées fantastiques et je le lirai sans doute un jour.

Jean-Pierre Dionnet, à l’inverse, s’est montré bien plus prolifique. Créateur et rédacteur-en-chef de Métal hurlant, il a contribué à de nombreuses œuvres, et a eu une influence majeure sur la culture d’aujourd’hui à travers la contre-culture. Sa volonté, visible, de chercher à choquer et aller à contre courant avant tout a certainement ouvert la voie à des chefs d’œuvres, je ne suis pas sûr que son œuvre personnelle soit à ranger dans la même catégorie. De lui j’ai également lu Rose profond, un pastiche bien sombre de Disney, qui est apparemment très apprécié mais que je n’ai pas vraiment trouvé à mon goût. Je ne crois pas qu’on puisse se construire uniquement dans le rejet et la moquerie.

Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer