Le livre du jour : Une année sans Cthulhu par Smolderen et Clérisse

Verdict : assez bien

Dans la même mouvance qu’une série populaire comme Stranger Things, cette BD nous parle des années 80, de jeu de rôle, et d’évènements fantastiques survenant dans le monde réel, en lien avec le jeu de rôle. C’est un retour aux sources, à l’âge d’or de la « geekerie », c’est à dire l’époque où geek était une insulte, on dirait blaireau en français et où être joueur de jeu de rôle était la honte, et bien plus efficace qu’un anneau de célibat pour préserver sa virginité.

Mais peu importe car vu du présent, le passé est toujours teinté de nostalgie et pour chaque génération, la décennie de son adolescence acquiert toutes les qualités et l’on se rappelle forcément les découvertes de cette époque avec tendresse. Plus rien, adulte, ne peut offrir quelque chose de semblable et c’est un plaisir de se replonger dans une ambiance disparue.

Pour ma part je suis un peu jeune pour cette nostalgie des années 80. Certes, je les ai connues et j’ai commencé le jeu de rôle en 1988, mais j’étais bien trop jeune pour pouvoir l’associer à une vie d’adolescent et ce qui en fait le sel : sorties, alcool, rébellion, rencontres amoureuses, musique …

Elles m’ont toutefois imprégné par l’intermédiaire du cinéma, de quelques groupes musicaux ayant réussi à ne pas devenir ringards la décennie suivante, et grâce aux jeunes créateurs dans des domaines comme le jeu vidéo, qui étaient tous issus de ces années là.

De façon un peu surprenante, aucun des deux auteurs de cette BD n’a vraiment connu ces années, pas de cette façon là. Le scénariste est né en 1954 et avait donc la trentaine à ce moment là, et dépassé cette étape formative de sa vie, et le dessinateur est né en 1980 et était un peu jeune pour jouer au jeu de rôle en buvant des canettes et en fumant des clopes.

Ça n’invalide pas totalement l’histoire qu’ils veulent présenter mais explique certains défauts de l’œuvre. En particulier le fait que le scénariste avoue n’avoir jamais joué au jeu de rôle mais avoir seulement été proche du milieu, explique la présence de clichés peu réalistes. Par exemple le fait de jouer une partie de l’Appel de Cthulhu dans un cimetière est sans doute un fantasme de rôliste, mais il suffit d’avoir fait quelque chose d’approchant une seule fois pour se rendre compte que le romantisme de la chose cache de nombreux problèmes. Le jeu de rôle avec ses feuilles de personnages volantes, ses crayons, ses gommes, ses dés, ses figurines et décors parfois, est une activité d’intérieur, et même d’intérieur confortable. On y joue bien assis autour d’une table, pas autrement.

Ça explique peut être aussi que les références à Cthulhu soient très limitées. Les personnages jouent au jeu de rôle l’Appel de Cthulhu (et d’une façon encore une fois assez irréaliste selon mon expérience, mais le jeu de rôle est un loisir très libre, donc admettons) mais quoi que la couverture laisse à penser, on ne voit pas l’ombre de la queue de Cthulhu dans cette histoire, contrairement au roman que j’ai critiqué hier.

Si la BD tire son inspirations des affaires des années 80 lors desquelles le jeu de rôle a été accusé à tort d’inciter aux meurtres ou aux suicides, et prétend défendre les rôlistes en les montrant victimes de cette réputation injuste, elle se base néanmoins sur les mêmes stéréotypes ridicules que les accusateurs utilisaient.

Autour de ces idées, l’univers est construit avec bien plus d’éléments typiques des années 80 : bornes d’arcades, mobylettes et blousons noirs, sectes et vieux gourous héritiers des années hippies, les Béruriers noirs … Et tout l’aspect visuel bien sûr, vêtements, coiffures, voitures.

Pour l’immersion temporelle c’est bien réussi, malheureusement l’intrigue tente d’intégrer bien trop de ces éléments et les rendre extra-ordinaires, on se retrouve donc avec une petite ville où tous les protagonistes ou presque ont « un truc », l’une est la fille d’un gourou et a participé à des fouilles dans une cité engloutie, un autre est indien, un génie qui a eu son bac à 13 ans, programme une IA et est issu d’une riche famille qui possède une pièce secrète pleine d’argent dans la maison, une troisième est la fille de la maire, borgne à cause d’un incident dans son enfance liée à une des protagoniste ce qui lui a permis de se découvrir des pouvoirs, ils ont un lien avec un tueur qui a sévit deux ans auparavant … Ça fait trop.

On est plus dans l’irruption du fantastique dans une vie jusque là ordinaire, mais dans un monde complètement fantastique et qui ne présente donc qu’une ressemblance superficielle avec le nôtre.

Encore une fois, et je m’en suis déjà plaint à d’autres occasions y compris hier, le lecteur se retrouve face une énigme, qu’il doit débrouiller basé sur une logique qui n’a pas à tenir compte de la réalité puisqu’on a à faire à du surnaturel, dont les règles ne sont même pas expliquées. Même les flics ne semblent pas respecter la logique puisqu’à aucun moment on explique comment le supposé coupable puis supposé survivant d’un massacre peut se retrouver enfermé, armé et couvert de sang dans une pièce secrète dont la porte est cachée par une étagère, ce qui n’empêche pas la police de l’accuser, puis de le libérer.

A coté de ça, les graphismes sont assez originaux, pas forcément très beau, mais l’accent mis sur les couleurs colle bien avec le côté fantastique de l’histoire. Qui plus est le style rappelle beaucoup tout ce qui est pixel art et graphismes de jeux vidéos, plutôt des années 90, mais on est pas loin. Personnellement, j’aime bien, mais il faut reconnaître que le dessin en souffre avec des visages très caricaturaux.

L’ambiance, les visuels surtout mais aussi les nombreuses références, la tonalité, fonctionnent bien. On retrouve avec plaisir et sans difficulté les éléments voulus : fantastique, jeu de rôle, années 80, nostalgie. Derrière j’ai vraiment pas accroché à l’intrigue, beaucoup trop de choses me paraissant très artificielles, forcées.

Vu que l’art est ce qui se voit en premier, et vu les critiques concernant cette BD, je suis un peu déçu. Tant pis.

Pour aller plus loin :

Le style graphique me rappelle un peu Peau d’homme, et plus généralement correspond à une tendance assez large dans la BD moderne.

Smolderen le scénariste a également travaillé sur un BD plus réussie puisqu’il s’agit d’une des meilleures séries : Gipsy.

Je ne connais pas grand chose d’autre par contre du travail du dessinateur.

Comme dit en introduction, la démarche est similaire, d’après ce que j’en sais, à celle de la série Stranger Things.

2 commentaires sur « Le livre du jour : Une année sans Cthulhu par Smolderen et Clérisse »

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